Poursuivrais-je cette chimère, de vouloir éliminer le côté tragique de l’existence humaine ? Il me semble plutôt que je veux en éliminer le mélodrame, la fausse tragédie – celle où la catastrophe arrive sans nécessité, où tout aurait pu se passer autrement si seulement les personnages avaient su ceci ou fait cela. Que des gens meurent de faim aux Indes, cependant qu’en Amérique et en Europe, les gouvernements pénalisent les paysans qui produisent trop, c’est une macabre farce, c’est du Grand-Guignol où les cadavres et la souffrance sont réels, mais ce n’est pas de la tragédie, il n’y a là rien d’inéluctable. Et si l’humanité périt un jour à coups de bombes à hydrogène, je refuse d’appeler cela une tragédie. Je l’appelle une connerie. Je veux la suppression du Guignol et de la transformation des hommes en pantins par d’autres pantins qui les « gouvernent ». Lorsqu’un névrosé répète pour la quatorzième fois la même conduite d’échec, reproduisant pour lui-même et pour ses proches le même type de malheur, l’aider à s’en sortir c’est éliminer la farce grotesque, non pas la tragédie ; c’est lui permettre de voir enfin les problèmes réels de sa vie et ce qu’ils peuvent contenir de tragique – que sa névrose avait pour fonction en partie d’exprimer mais surtout de masquer.